Mai 2016 – En collaboration avec l’Opéra de Montréal.

C’est une histoire d’amour. Intense et immuable. Elle est faite de passion mais aussi de souffrance, elle met en scène le désir mais aussi la vengeance et la cruauté. C’est l’histoire d’un amour campée dans le contexte social d’une époque qui la rend impossible.

Si dès sa création au théâtre, en 1987, la pièce « Les Feluettes » brisait un tabou souvent ancré de manière insidieuse dans les consciences, il n’est sans doute pas inutile, en 2016, de porter à l’opéra cette histoire qui célèbre l’amour en affirmant haut et fort que le sentiment amoureux est histoire de cœurs plus que de sexes.

Car on le sait dès le premier baiser qu’échangent Vallier et Simon, cette quête de l’autre va au-delà de l’orientation sexuelle et l’une des forces des « Feluettes » est justement de nous mettre en présence d’un amour qui est d’abord humain.

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Photo : Yves Renaud

En 1952, un groupe de prisonniers, sous la direction de Simon, convoque l’évêque Jean Bilodeau pour répéter devant lui une scène de la pièce « Le martyr de Saint-Sébastien » de Gabriele D’Annunzio. Cette pièce relate des événements qui ont eu lieu en 1912, au moment où ils étudiaient au Collège Saint-Sébastien de Roberval. Simon était amoureux du jeune comte Vallier de Tilly, aristocrate français ruiné, exilé avec sa mère, et dont on se moque en l’appelant « le feluette ». Le spectacle des prisonniers, qui montre l’amour entre Vallier et Simon, raconte aussi comment la jalousie de Bilodeau a fait basculer l’histoire dans le drame et condamner injustement Simon.

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Je ne cacherai pas mon admiration pour l’écrivain qu’est Michel Marc Bouchard ni mon affection pour cet homme sensible et authentique. Avec le compositeur, Kevin March, il a créé ici une œuvre dramatique d’une rare intensité, appuyée par l’esthétique sobre de la mise en scène et une magistrale performance vocale et théâtrale des chanteurs. Ce ne sont plus deux hommes qui sont devant nous mais deux êtres humains liés par un amour profond que rien ne peut entraver, que rien ne peut détruire, au-delà de l’impossibilité de leur histoire.

Michel Marc Bouchard a écrit un livret dans lequel nombre de répliques agissent comme de véritables motifs et nous jettent dans la beauté de cet amour qui aspire à l’absolu mais se transformera en tragédie.

O aimé, si jamais vous m’aimâtes, que votre amour je le connaisse.

Celui qui plus profondément me blesse, plus profondément m’aime.

Je t’aime et t’attendrai toujours.

Le cœur se crée ses rêves, l’amour ses illusions.

Sors de moi, passion aveugle !

Le dramaturge fait résonner la richesse musicale de la langue française avec une justesse et une véracité impressionnantes. La simplicité mais aussi la tension et la force poétique de son écriture font en sorte que les mots épousent la musique de manière parfaitement naturelle.

Lorsqu’on demande à Michel Marc Bouchard ce qui l’intéresse en premier dans l’opéra, il répond : « la démesure des sentiments qui, par le chant et la musique, nous touchent dans ce que nous avons de plus intime ». Cette puissance de l’émotion, spécifique à l’opéra, opère ici de manière d’autant plus profonde et soutenue que nous sommes transportés non pas dans un ailleurs abstrait mais au cœur même du Québec, dans notre propre histoire dont un pan nous est révélé. Cela contribue bien sûr à nous captiver davantage et, quoique cet élément n’enlève rien à l’universalité de l’œuvre, la vérité des « Feluettes » s’en trouve pour nous accentuée.

Ces flammes dévorantes de l’amour, seul l’opéra pouvait les élever ainsi !