extraits
Si le vent retient en lui la sensation du corps
si l’on meurt de ne jamais faire un avec le visible
s’il y a quelqu’un au bord des jours fragiles
qui trace quelque limite au chaos, à l’usure du monde
à l’ombre qui nous survit ;
je ne sais pas encore
voyager dans l’étrangeté
d’un paysage, d’une rue, d’un continent
ou celle d’un visage dessiné par l’amour
et sa disparition.
*
Je ne sais pas encore passer
à travers une ombre, comme on passe
dans une chambre d’hôtel, une salle d’attente
– ces liens minuscules du silence
enfoui en nous.
Je ne sais pas encore me perdre
dans ce qui vient
et ne reviendra pas
aller parmi ces jours sans nom, ces heures
où l’on ne trouve rien
à poser de nous-mêmes
mais dont nos mains gardent trace
comme d’inutiles déchirures.
Je ne sais pas encore donner
ni recevoir cette beauté
qui reparaît en nous, pour un instant
une éternité que l’on sait périssable.
*
Aurons-nous le temps d’aller très loin
de traverser les carrefours, les mers, les nuages
d’habiter ce monde qui va parmi nos pas
d’un infini secret à l’autre, pourrons-nous écouter
le remuement des corps à travers le sable ;
aurons-nous le temps
de tout nous dire et d’arrêter d’être effrayés
par nos tendresses, nos chutes communes ;
pourrons-nous tout écrire
d’un passage du vent sur nos visages
ces murmures de l’univers, ces éclats d’immensité ;
aurons-nous le temps de trouver
un mètre carré de terre et d’y vivre
ce qui nous échappe
je ne sais pas encore.